Mère Castor, raconte-nous la fin de vie ! (partie 1)
Le sujet de la fin de vie est devenu un immense champ de bataille à l’assemblée nationale et sur les réseaux sociaux. Et moi, pendant ce temps-là, je continue mon parcours personnel dans ces méandres labyrinthiques.
Même si je bosse un gros, gros article sur les débats sur la loi fin de vie actuellement débattue en France, je vais pour l’heure encore faire mon égocentrique et axer ma réflexion sur ma situation personnelle.
Solliciter une fin de vie assistée entre France et Belgique n'est pas la sinécure que certains semblent imaginer. Et pas seulement en raison des garde-fous absolument nécessaires qui jalonnent la route ! En fait, c'est plutôt parce que ces sécurités se confrontent à la réalité et aux limites du système de santé gaulois tout cassé que ça devient un enfer à gérer.
Comme quoi, m'sieurs-dames les politiques, même si vous luttez pour "une fin de vie digne" (cette expression m'agace, mais pas pour les raisons généralement admises), rendez l'accès aux soins, et pas uniquement palliatifs, aisé et adapté à tous, patients comme soignants. Et cessez de coller des rustines périmées sur une mécanique qui s'écroule de partout aussi bien sur ceux qui la servent que sur ceux qui en ont besoin !
Deux petites précisions sur cet article :
- larmoyer sur mon sort ne me fait pas oublier que mon cas ne représente qu'un témoignage singulier sur un sujet vaste et complexe. Je râle suffisamment sur le fait que les propos simplistes fusent de partout sur un thème qui me touche de près, ce n'est pas pour prétendre moi-même apporter parole d'évangile.
- Pour autant, j'aimerais qu'on me fasse la grâce de m'accorder que ma réflexion, pour si parcellaire qu'elle soit, n'est pas superficielle et uniquement guidée par mon (certes vif) ressenti du moment. J'essaie sincèrement de me décentrer de mes préjugés et de l'émotion suscitée par les événements récemment vécus pour vous proposer des pistes de questionnements et de réponses.
Bref, je vous emmène une fois de plus avec moi sur les sentiers brumeux de ma fin de vie ?
Il y a maintenant un mois et une semaine que je suis en Belgique. J'envisagerais presque d'y acquérir une petite case de BD cosy pour y habiter... Mais malgré l'indéniable supériorité du plat pays sur la France, je ne reste pas exactement pour profiter de sa douceur de vivre. Le rendez-vous du 15 avril s'est doublé d'un second dix jours plus tard, dont je suis ressortie lessivée, à bout de forces comme d'espoir. Tout ce joyeux bordel me faisait l'effet d'une espèce de flipper dont j'aurais été la boule, balancée au gré des mouvements mal maîtrisés de joueurs enthousiastes mais peu précis. Et depuis ? Depuis je réfléchis pour savoir comment avancer dans un labyrinthe inextricable. Laissez-moi vous expliquer.
Ma décision de me diriger vers une fin de vie s’est formalisée en décembre 2023. A ce moment-là, la douleur était déjà suffisamment insupportable et constante pour que je veuille avancer assez vite vers le grand et vertigineux inconnu de la mort. Nous sommes bientôt mi-2025. Mon état s’est bien dégradé par rapport à cette période, de nouveaux symptômes se sont ajoutés, d’autres se sont majorés et je n’ai toujours aucun soulagement accessible en vue. Parallèlement, je dois me bouger pour mettre le plus possible à l’abri ceux que j’aime tout en me préparant à ne plus être; ce que mon cerveau se refuse drastiquement à appréhender, tant il considère que la perte de sa propriétaire serait une incommensurable tragédie pour l’humanité (moi, avoir des chevilles gonflées à l’hélium ?) Bref, je tiens bon autant que possible, mais ma résistance, physique comme psychique, est au ras des pâquerettes. Chaque jour désormais, je me demande si je peux encore m’accrocher jusqu’au lendemain. Et oui, à un moment je lâcherai la rampe, d’une manière ou d’une autre.
Alors quand GentilNeurologue estime ma demande d’euthanasie légitime, mais qu’il aimerait que je tente une dernière voie thérapeutique potentiellement de longue haleine (rééducation en neurologie fonctionnelle dans un service très éloigné de mon domicile) avant de formuler un avis définitif, je câble un peu. J’ai bien conscience qu’il faut soigneusement s’assurer que toutes les alternatives sont bouchées avant de décréter que donner la mort dans un cadre médical est l’option la moins pire. Mais dans ma réalité à moi, ça signifie surtout me relancer dans un parcours que je sais ne plus pouvoir assumer.
Cette rééducation aurait pour but de réduire mes douleurs et d’améliorer mon confort de vie. La question logique posée par GentilNeurologue, c’est “si cette rééducation fonctionne, le gain sera-t-il suffisant pour me permettre de réévaluer ma décision ?”. Ce serait bien non ? Un genre de happy end de série américaine !
Sauf que…
Obtenir ne serait-ce qu’un premier rendez-vous en rééducation fonctionnelle en France, ça signifie subir un délai d’attente non négligeable. Rien ne sera possible avant de nombreux mois d’attente, au grand minimum ! Après une première prise de contact avec le fameux service concerné, on me propose une échéance à mi-2026. Cette durée m’est tout bonnement impossible à accepter, tout mon être ne tenant plus que par des bouts de ficelle effilochés.
En dehors de cette considération, comment organiser une nouvelle prise en charge à des centaines de kilomètres de chez moi, cette fois probablement sans soutien ni hébergement logistique dans les parages ? Rien de concret n’est prévu pour faciliter ce genre de projet, bien au contraire ! Quand je vois à quel point je galère pour faire transmettre certaines informations médicales entre deux services d’un même hôpital, à mon médecin traitant ou plus récemment à GentilNeurologue (mention spéciale à cette secrétaire se demandant si les hôpitaux belges ont seulement accès à des e-mails correctement sécurisés, comme si cette sauvage contrée n’avait point connu les bienfaits de la civilisation moderne…) on me pardonnera un “léger” scepticisme !
Parallèlement à ces questionnements, il faut bien réaliser qu’en attendant une hypothétique amélioration de mon état, le temps ne s’arrête pas. Chaque journée est un supplice de plus à encaisser sans le moindre soulagement, mais aussi une somme de problèmes qui s’empilent sans aucune aide … et moi et mes proches devons y faire face, sans appui concret !
On va abandonner un instant la procédure de fin de vie et tout ce qui gravite autour de cette problématique spécifique. J’aimerais revenir sur la réalité du handicap et de la maladie et de leur accompagnement en France, en dehors de ce contexte singulier. Parce qu’au-delà de la question de la liberté de mourir quand on n’en peut plus, il faut réfléchir aux conditions d’existence proposées aux gens concernés par des problèmes de santé. Parce que je le répète : en attendant de mourir, il faut bien vivre.
Devenir dépendant d’autrui pour des actes aussi basiques que la toilette, les déplacements, l’habillage, les besoins, c’est infiniment difficile à accepter. Mais ça l'est encore plus quand on ne dispose pas des aides nécessaires, qui permettraient la meilleure autonomie possible.