Mère Castor, raconte-nous la fin de vie ! (partie 2)
Je sais, je réveille ce blog bien tard, sachant que j’avais plein d’articles promis sur le feu. Mais celui-ci, qui va une fois de plus s’appuyer sur mon parcours singulier pour proposer une réflexion personnelle plus générale sur l’euthanasie et tout ce qu’il y a autour, me paraît prioritaire à plusieurs égards.
Déjà parce que je suis sûre que vous attendiez en retenant votre souffle la suite de mes aventures (oui, mes chevilles vont bien, pourquoi ?). Ensuite parce que j’aimerais continuer à questionner certaines représentations autour de la fin de vie et vous soumettre quelques interrogations qui me paraissent importantes et pour lesquelles je ne trouve aucune réponse satisfaisante.
Petite mise en garde nécessaire : si le titre du blog est suffisamment explicite sur le thème principal abordé, aujourd’hui on va aussi pas mal évoquer le suicide sans assistance médicale. Et honnêtement, j’en parlerai sans pudeur. Cet article sera donc très dur, même s’il sera comme toujours saupoudré d’humour acide.
Pour le reste des avertissements et précautions oratoires de rigueur, je vous renvoie à mon article précédent.
Vous êtes encore là ? Eh bien, un sincère merci à vous. Par contre, ne sortez pas le popcorn, il risque de vous rester sur l’estomac. J'insiste !
Rappel de l’épisode précédent : Notre héroïne (moi), à la suite d’un séjour prolongé en Belgique, avait reçu une quête de la part de GentilNeurologue : tenter de décrocher une prise en charge en France dans un service de rééducation fonctionnelle, au cas où cette porte ne serait pas encore entièrement verrouillée.
Je vous avais exprimé mon “léger” scepticisme concernant cette démarche et les raisons de celui-ci, ainsi que le résultat des premières recherches en ce sens. En bonne élève, j’ai néanmoins tenté d’explorer cette piste jusqu’au bout. Ne serait-ce que pour pouvoir rendre des comptes honnêtes et précis à GentilNeurologue.
Je vous narrerai peut-être le détail de ces péripéties dans un autre article néanmoins, tant c’est un sketch en soi. Ici, je vais juste vous livrer le verdict final : je peux oublier l’idée, c’est plié. J’en ai eu la confirmation officielle début juillet. Et je vous garantis que j’avais beau le savoir, la baffe a quand même été rude. Cette tempête émotionnelle et physique imposée n’a été sans conséquences pour personne. Ni pour moi en première ligne, certes, ni pour aucun de mes proches.
Tout ce bordel pour en revenir au point de départ, avec des forces et du temps en moins. Ce n’est pas que je le prenne mal, vous me connaissez ! Disons juste que ma diplomatie commence à tomber dans le négatif. Et le temps que GentilNeurologue fasse un retour sur mon compte-rendu découragé, je peux bien mourir hein ! Oh, wait…
Et pendant ce temps-là, en France, on attendait de moi que je revienne de Belgique avec un plan détaillé et une date de décès à annoncer. Et l’absence de ces éléments a donné lieu à un festival de réactions dont je me passerais bien.
Attardons-nous un instant sur les “Comment voulez-vous qu’on s’organise sans ces informations ?!” et autres “Peut-être votre projet est-il plus ambivalent que ce que vous affirmez” de la part de personnes qui ne réalisent pas à quel point ce genre de remarques est malvenu. Dites, m’sieurs-dames, vous savez que je suis la première à être frustrée et angoissée par ce flou artistique ?
Quant à l’ambivalence de mon projet… Oui, je suis plus que jamais fermement décidée. Certes, les médecins du plat pays ont validé la pertinence de ma demande tout en poursuivant leur nécessaire travail de vérification des alternatives. Pourtant, on touche ici à l’une de ces fameuses questions sans réponses dont je vous parlais en introduction : Le cas échéant, m’accorderait-t-on réellement le droit plein et entier à renoncer à l’euthanasie ?
J’ai déjà exprimé que je refusais fermement qu’on tente de me dissuader de maintenir ma décision. J’ai posé les choses et défini que je souhaitais être euthanasiée. Ce choix, intime et longuement discuté, m’appartient. Mais il n’a de sens que s’il reste libre jusqu’à la dernière seconde.
Bien sûr, personne ne me met de couteau sous la gorge en exigeant que je me fasse une injection létale. Cela dit, il faut avouer que ce serait un poil contre-productif ! Pourtant, je vois bien que depuis que la demande d’euthanasie a été nommée, notamment auprès des soignants et autres professionnels qui ont affaire à notre famille, tout ce beau monde scrute mes intentions et ma progression avec une attention assez malaisante.
J’entends bien que les gens doivent organiser un futur sans moi et que cela requiert une préparation adaptée. Mais quand on me reproche de ne pas pouvoir tout cadrer d’emblée et qu’on remet en doute la réalité de mes intentions, j’ai un peu envie de rappeler qu’on ne parle pas d’une balade en montgolfière mais de la planification et des modalités de mon décès.
J’ai assez écrit sur ce blog à quel point l’idée même de la mort était vertigineuse. Être confrontée à l’idée de ne plus exister, ça inspire, en tout cas chez moi, une terreur existentielle (Le premier qui fait allusion à un lien éventuel avec mon ego hypertrophié se prendra un coup de hache bien senti). Il se trouve juste que dans mon cas, la douleur surpasse ce ressenti, si glaçant et prégnant soit-il.
Sauf que le moment venu, au moment de dire adieu aux miens, cette balance pourrait peut-être s’inverser, le doute pourrait frapper… et dans ce cas, si je dis non au dernier instant, je sais que le geste s’arrêtera. Mais ensuite ? Me reprocherait-on ce revirement de situation, me dirait-on que c’était bien la peine de faire tout ce cirque, que j’ai traumatisé mes proches et impliqué des professionnels pour rien ? Que finalement, hein, j’étais bel et bien incertaine malgré tous mes beaux discours ?
Ne nous leurrons pas : si je renonçais à mourir, il y aurait des conséquences. Plus ou moins importantes, parfois explicites, parfois larvées, mais jamais négligeables. Sur la valeur qu’on accorderait à ma parole et à mes besoins et envies à tous les niveaux, notamment. Comment être entendue par la suite à propos de ma douleur, de mes attentes concernant ma famille, de mon avenir ?
Passons un peu à une autre réaction, qui se situe selon moi un bon cran au-dessus encore sur l’échelle du malaise.
C’est fou le nombre de personnes, dont principalement des professionnels de la santé et du social, qui se semtent tenus de me faire l’aimable rappel que le suicide “maison” n’est après tout pas (plus) pénalement répréhensible et que après tout, si les médecins belges tardent trop à répondre, je peux m’arranger dans mon coin, histoire de faire avancer les choses.
Clarifions un point tout de suite : Je déteste les slogans du genre “le suicide n’est pas une solution”. Si, de fait. C’est une solution définitive, de tout dernier recours et qui a des conséquences non négligeables à prendre en compte sur ceux qui restent.
Je distingue également la pulsion suicidaire, qui relève du débordement soudain et non maîtrisé pouvant aboutir à un geste fatal, de la réflexion stable dans le temps malgré des alternatives concrètes proposées et mises en place de bonne foi, mais sans succès.
Ma demande d’euthanasie n’est donc selon moi rien d’autre qu’une demande de suicide dans des conditions moins violentes que celles que je pourrais obtenir par moi-même. Et évidemment, si cette procédure s’embourbe, je ne peux que penser au plan B, avec tout ce que ça comprend de dureté.
Ceci posé, l’incitation à en finir par mes propres moyens telle que je l’ai trop entendue ces derniers mois me choque pourtant. Serais-je là encore juste décidée à dire tout et son contraire pour faire mon intéressante ?
Je viens de parler de la dureté, de la violence de l’acte. Se suicider soi-même, c’est accepter une infinie solitude lors du geste. D’une part, il est évidemment hors de question que qui que ce soit assiste à un décès dans des conditions forcément imparfaitement maîtrisées, avec tout ce que ça peut impliquer de sale et de glauque. Ensuite, il ne faut pas oublier que si le suicide n’est pas un délit en France, participer à cette démarche l’est bel et bien. Et devinez quoi ? Mon but n’est pas que mes proches aient affaire à la justice !
Donc oui, si on doit en venir là, je serai seule avec moi-même et ça, c’est terrifiant. Il y a loin du cadre hospitalier où ceux que j’aime me verraient “partir” (dieu que je hais cet euphémisme !) en douceur et en me tenant la main, à un suicide dans un lieu isolé sans aucun accompagnement ni sourire rassurant.
Second point auquel j’aimerais que ceux qui évoquent cette possibilité pour “arranger tout le monde” pensent un peu plus : se suicider sans se rater, ce n’est pas si simple. Si d’aventure je me réveillais dans un état encore pire que celui que je veux quitter, mais cette fois sans l’autonomie suffisante pour achever ce processus, ce serait un carnage pour tout le monde.
En réalité, je crois que ce qui me gave le plus avec ces remarques assénées en passant, qui me poussent l’air de rien à sauter allègrement dans le gouffre, c’est l’hypocrisie de la démarche : les gens ne veulent pas voir en face toute la complexité de la situation qui m’a amenée fin 2023 à entamer une procédure de fin de vie.
Tout le monde se défausse de la (parfois petite) part qu’il pourrait prendre pour que les choses se passent mieux, dans des conditions supportables. C’est toujours plus commode de refiler une décision de soins au confrère, tout aussi démuni, que de se dire “Tiens, sur cet aspect je peux peut-être amener un peu de confort”. Plus agréable de se dire “Moi, je suis là pour les enfants, pas pour la mère qui me met dans une position délicate”. Sauf que non, les deux sont indissociables. Etc. Résultat, tout le monde me renvoie d’interlocuteur en interlocuteur comme une balle de ping-pong format XXL, quand il serait possible d’agir, même juste un peu. Et vous allez rire : cette attitude, ça a au final plus d’impact sur ce que je vis, sur ce que mes enfants vivent, sur ce que tous ceux que j’aime vivent que de se mouiller un peu plus franchement. A ne rien faire, on détruit parfois plus sûrement qu’en agissant maladroitement.
Et, comme la situation stagne, en dernier recours on attend que je défasse seule le nœud du problème, histoire de garder les mains propres. Figurez-vous que je suis moyen fan du procédé. Encore une fois, il serait bon qu’on se rappelle que si je vais mourir, je ne suis pas encore morte. Et que malgré mon cynisme et mon humour corrosif, je peux encore avoir mal. Et que ce qu’il me reste comme temps ne devrait pas servir à panser les plaies qu’on m’inflige. Ne me le volez pas.
Mère Castor, raconte-nous la fin de vie ! (partie 1)
Le sujet de la fin de vie est devenu un immense champ de bataille à l’assemblée nationale et sur les réseaux sociaux. Et moi, pendant ce temps-là, je continue mon parcours personnel dans ces méandres labyrinthiques.
Même si je bosse un gros, gros article sur les débats sur la loi fin de vie actuellement débattue en France, je vais pour l’heure encore faire mon égocentrique et axer ma réflexion sur ma situation personnelle.
Solliciter une fin de vie assistée entre France et Belgique n'est pas la sinécure que certains semblent imaginer. Et pas seulement en raison des garde-fous absolument nécessaires qui jalonnent la route ! En fait, c'est plutôt parce que ces sécurités se confrontent à la réalité et aux limites du système de santé gaulois tout cassé que ça devient un enfer à gérer.
Comme quoi, m'sieurs-dames les politiques, même si vous luttez pour "une fin de vie digne" (cette expression m'agace, mais pas pour les raisons généralement admises), rendez l'accès aux soins, et pas uniquement palliatifs, aisé et adapté à tous, patients comme soignants. Et cessez de coller des rustines périmées sur une mécanique qui s'écroule de partout aussi bien sur ceux qui la servent que sur ceux qui en ont besoin !
Deux petites précisions sur cet article :
- larmoyer sur mon sort ne me fait pas oublier que mon cas ne représente qu'un témoignage singulier sur un sujet vaste et complexe. Je râle suffisamment sur le fait que les propos simplistes fusent de partout sur un thème qui me touche de près, ce n'est pas pour prétendre moi-même apporter parole d'évangile.
- Pour autant, j'aimerais qu'on me fasse la grâce de m'accorder que ma réflexion, pour si parcellaire qu'elle soit, n'est pas superficielle et uniquement guidée par mon (certes vif) ressenti du moment. J'essaie sincèrement de me décentrer de mes préjugés et de l'émotion suscitée par les événements récemment vécus pour vous proposer des pistes de questionnements et de réponses.
Bref, je vous emmène une fois de plus avec moi sur les sentiers brumeux de ma fin de vie ?
Il y a maintenant un mois et une semaine que je suis en Belgique. J'envisagerais presque d'y acquérir une petite case de BD cosy pour y habiter... Mais malgré l'indéniable supériorité du plat pays sur la France, je ne reste pas exactement pour profiter de sa douceur de vivre. Le rendez-vous du 15 avril s'est doublé d'un second dix jours plus tard, dont je suis ressortie lessivée, à bout de forces comme d'espoir. Tout ce joyeux bordel me faisait l'effet d'une espèce de flipper dont j'aurais été la boule, balancée au gré des mouvements mal maîtrisés de joueurs enthousiastes mais peu précis. Et depuis ? Depuis je réfléchis pour savoir comment avancer dans un labyrinthe inextricable. Laissez-moi vous expliquer.
Ma décision de me diriger vers une fin de vie s’est formalisée en décembre 2023. A ce moment-là, la douleur était déjà suffisamment insupportable et constante pour que je veuille avancer assez vite vers le grand et vertigineux inconnu de la mort. Nous sommes bientôt mi-2025. Mon état s’est bien dégradé par rapport à cette période, de nouveaux symptômes se sont ajoutés, d’autres se sont majorés et je n’ai toujours aucun soulagement accessible en vue. Parallèlement, je dois me bouger pour mettre le plus possible à l’abri ceux que j’aime tout en me préparant à ne plus être; ce que mon cerveau se refuse drastiquement à appréhender, tant il considère que la perte de sa propriétaire serait une incommensurable tragédie pour l’humanité (moi, avoir des chevilles gonflées à l’hélium ?) Bref, je tiens bon autant que possible, mais ma résistance, physique comme psychique, est au ras des pâquerettes. Chaque jour désormais, je me demande si je peux encore m’accrocher jusqu’au lendemain. Et oui, à un moment je lâcherai la rampe, d’une manière ou d’une autre.
Alors quand GentilNeurologue estime ma demande d’euthanasie légitime, mais qu’il aimerait que je tente une dernière voie thérapeutique potentiellement de longue haleine (rééducation en neurologie fonctionnelle dans un service très éloigné de mon domicile) avant de formuler un avis définitif, je câble un peu. J’ai bien conscience qu’il faut soigneusement s’assurer que toutes les alternatives sont bouchées avant de décréter que donner la mort dans un cadre médical est l’option la moins pire. Mais dans ma réalité à moi, ça signifie surtout me relancer dans un parcours que je sais ne plus pouvoir assumer.
Cette rééducation aurait pour but de réduire mes douleurs et d’améliorer mon confort de vie. La question logique posée par GentilNeurologue, c’est “si cette rééducation fonctionne, le gain sera-t-il suffisant pour me permettre de réévaluer ma décision ?”. Ce serait bien non ? Un genre de happy end de série américaine !
Sauf que…
Obtenir ne serait-ce qu’un premier rendez-vous en rééducation fonctionnelle en France, ça signifie subir un délai d’attente non négligeable. Rien ne sera possible avant de nombreux mois d’attente, au grand minimum ! Après une première prise de contact avec le fameux service concerné, on me propose une échéance à mi-2026. Cette durée m’est tout bonnement impossible à accepter, tout mon être ne tenant plus que par des bouts de ficelle effilochés.
En dehors de cette considération, comment organiser une nouvelle prise en charge à des centaines de kilomètres de chez moi, cette fois probablement sans soutien ni hébergement logistique dans les parages ? Rien de concret n’est prévu pour faciliter ce genre de projet, bien au contraire ! Quand je vois à quel point je galère pour faire transmettre certaines informations médicales entre deux services d’un même hôpital, à mon médecin traitant ou plus récemment à GentilNeurologue (mention spéciale à cette secrétaire se demandant si les hôpitaux belges ont seulement accès à des e-mails correctement sécurisés, comme si cette sauvage contrée n’avait point connu les bienfaits de la civilisation moderne…) on me pardonnera un “léger” scepticisme !
Parallèlement à ces questionnements, il faut bien réaliser qu’en attendant une hypothétique amélioration de mon état, le temps ne s’arrête pas. Chaque journée est un supplice de plus à encaisser sans le moindre soulagement, mais aussi une somme de problèmes qui s’empilent sans aucune aide … et moi et mes proches devons y faire face, sans appui concret !
On va abandonner un instant la procédure de fin de vie et tout ce qui gravite autour de cette problématique spécifique. J’aimerais revenir sur la réalité du handicap et de la maladie et de leur accompagnement en France, en dehors de ce contexte singulier. Parce qu’au-delà de la question de la liberté de mourir quand on n’en peut plus, il faut réfléchir aux conditions d’existence proposées aux gens concernés par des problèmes de santé. Parce que je le répète : en attendant de mourir, il faut bien vivre.
Devenir dépendant d’autrui pour des actes aussi basiques que la toilette, les déplacements, l’habillage, les besoins, c’est infiniment difficile à accepter. Mais ça l'est encore plus quand on ne dispose pas des aides nécessaires, qui permettraient la meilleure autonomie possible.
La procédure de fin de vie, un bon film à suspens ?
J'ai promis sur certains réseaux de prendre le temps de faire un article long et fouillé sur le projet de loi Fin de vie en ce moment questionné en France et, plus largement, sur les quelques notions attachées à ces sujets que tout le monde semble brandir en e moment dans tous les sens. Je ferai ce travail de patience, mais il faut que je prenne le temps. Etant actuellement en plein dans les démarches concernant ma propre demande d'euthanasie, je dois redoubler d'efforts pour ne pas me laisser déborder par un trop-plein de subjectivité mal placée. Et quiconque me connaît sait comme les mots "redoubler d'efforts" m'arrachent facilement une vilaine grimace ! Donc patience, j'y bosse mais je ne cours pas.
En attendant et en bonne égocentrique que je suis, je vais revenir à mes propres péripéties.
Mardi dernier, j'ai rencontré comme prévu un neurologue belge réputé. Ce monsieur était charmant, mais le moment était vertigineux. J'emploie beaucoup ce terme, décidément ! Il faut avouer qu'il représente bien l'ampleur des enjeux à chaque démarche, à chaque réflexion concernant ma fin de vie. Mais tout passe quand même mieux quand la personne avec laquelle on échange est respectueuse et prend le temps de peser ses mots et ses questions.
GentilNeurologue voulait prendre son temps pour lire mon dossier, et surtout pour discuter avec moi plus longuement que dans le créneau imposé pour une consultation classique. Il fallait donc convenir rapidement d'un nouveau rendez-vous et donc, prévoir de prolonger ma balade en Belgique. Prochain entretien calé pour le 25 avril. Heureusement que je suis hébergée et soutenue dans le plat pays comme dans la terre des galettes, parce que vu mon épuisement et les joies d'une promenade en fauteuil roulant sur les pavés bruxellois... je ne tiendrais pas sans ces appuis.
Mais cela a, comme toujours, des coûts intimes non négligeables : je loupe le retour de vacances de mes filles, une chasse aux oeufs de pâques, leur reprise de l'école, un petit spectacle de Mini... tout ça ne se rattrapera pas. Et je ne peux pas encore organiser mon retour qui dépendra donc probablement de ce qui sera dit vendredi. Ca n'a l'air de rien, mais quand le temps est compté, chaque jour en moins prend un poids particulier.
Bref, prochain checkpoint en fin de semaine. Et GentilNeurologue a été clair sur plusieurs points : oui, il entend ma demande et elle lui semble cohérente avec la situation. Oui, il y a probablement une part fonctionnelle à mes douleurs et symptômes. Non, cela n'invalide pas la possibilité de l'aide à mourir. Oui il va prendre le temps d'examiner si on peut trouver mieux que cette réponse désespérée à ma situation désespérée, par acquit de conscience, mais il sait ma demande réfléchie et urgente. Autrement dit : hâtons-nous lentement.
J'aimerais vous laisser sur ma pensée du soir. Oui, bon, vous pouvez appeler ça philo de cuisine ou radotage sinon...
Il y a quelque part une étrangeté à vouloir ne plus être (surtout quand on ne croit pas en un au-delà quelconque) et encore plus, à le vouloir à un point assez fort pour demander à un homme dont l'essentiel du métier consiste à soigner ses patients qu'on est légitime à solliciter une aide à mourir. Ne plus être, ce n'est pas concevable. Ce n'est pas juste "arrêter de souffrir". Je ne savourerai aucun soulagement une fois le geste accompli, si on m'accorde ce que je demande. Simplement, je ne serai plus. Je vous assure que mon ego déteste cette idée... Pourtant, je souhaite malgré tout mener ma démarche jusqu'au bout. Et c'est bien la première fois que quelque chose surpasse mon ego !
Jusqu'ici, tout va bien (ou presque)
Eh bien voilà, ça y est. Je suis arrivée avant hier en Belgique. Heureusement que j'ai eu droit à un accueil chaleureux, parce que les péripéties pour arriver à destination ont été nombreuses et peu plaisantes. Point positif néanmoins, pour une fois je suis parvenue à bon port le jour prévu ! Bref, je suis arrivée, j'ai repris un peu mes marques... et je suis morte de trouille pour le rendez-vous de demain.
Petite explication pour ceux qui prennent mon train en marche : ce 15 avril, je dois rencontrer un neurologue belge apparemment assez réputé à la demande du médecin qui a ma demande d'euthanasie entre les mains. Le but est de lui demander confirmation que ma situation n'offre plus de possibilité de soutien thérapeutique efficace.
J'aimerais faire un petit rappel pour les quelques personnes qui me lisent : être engagée dans une démarche de demande d'euthanasie ne signifie pas que plus rien ne m'atteint au niveau médical. Devoir m'entretenir avec un parfait inconnu en blouse blanche de mes douleurs, des capacités motrices et cognitives que je perds au fil des jours, bref, de tout l'intime de ma souffrance, ça n'a rien de plaisant ni d'anodin. Vraiment, je préférerais un pique-nique en forêt !
Par ailleurs, cet inconnu aura littéralement mon avenir entre les mains :
Soit il pense que tout n'a pas été tenté et on repart pour un tour, sachant qu'aucun médecin français ne souhaite continuer de s'investir dans mon dossier et qu'il y a de bonnes chances que je reste à g(al)érer seule avec mes proches, soit il estime qu'effectivement je suis au bout du chemin et... disons qu'avoir raison aura quand même un goût un peu amer. Oui, je sais, je ne suis jamais contente !
Quoi qu'il arrive demain, un nouveau pas dans l'inconnu sera fait. D'autres questions et d'autres réflexions naîtront. Et si je pourrai en aborder quelques-unes avec ceux que j'aime, la majeure partie leur sera scellée. Il y a une dimension tellement intime, tellement personnelle à tout ça, qu'aucun autre que la personne directement concernée ne peut y pénétrer. Et cette fois, râler ne changera rien à l'affaire, je devrai affronter cela seule, même si je sais pouvoir compter sur le soutien de Chéri, de Sandro et de Surahki
J'aimerais être forte. J'aimerais vous dire que je serai sur le champ de bataille, hache à la main, la tête haute. Mais la réalité, c'est que, quelle que soit l'issue de la discussion de demain, mon gentil hébergeur devra probablement sacrément faire le pitre pour me sortir de mon hébétude. Ce qui ne devrait pas poser problème, vu le bestiau !
Eh, je suis toujours là ! (Ne m'enterrez pas avant l'heure !)
Depuis décembre 2023, j'ai démarré un projet de fin de vie. Nous sommes en 2025 et même si la douleur et les autres symptômes me rendent aussi alerte et présentable qu'un zombie, je fais encore partie du club des vivants. Et cet entre-deux semble susciter bien des incompréhensions. Laissez-moi vous faire toucher du doigt la violence innocente de quelques comportements auquel je peux faire face.
Depuis que j'ai pris ma décision, tout ceux à qui j'en fais part ont une opinion dessus, quelle qu'elle soit. Trop de gens oublient que c'est une réflexion tellement personnelle, tellement intime, qu'ils n'ont ni les moyens ni le droit de la juger. Promis, je n'ai pas pensé à ça comme j'aurais planifié un pique-nique estival hein !
Mais surtout... les gens oublient que je suis toujours là et qu'en attendant la mort je dois gérer le quotidien avec tout ce qu'il a de difficile pour moi. Accessoirement, ils oublient également que leurs mots peuvent m'atteindre et que leurs avis déplacés peuvent blesser aussi sûrement qu'un coup.
J'apprécie assez peu d'entendre des quidams discuter entre eux à mon propos, parfois alors même que je suis à peine à deux pas d'eux. Je les entends trop souvent dire qu'on est dans une impasse thérapeutique concernant mes souffrances mais que bon, c'est pas si grave puisque j'ai cette démarche de demande d'euthanasie en cours ! Dans ces moments, j'ai un peu envie de leur hurler dessus pour leur rappeler que cette démarche ne se fait pas non plus en un claquement de doigts, et qu'en attendant son aboutissement, j'aimerais bien pouvoir vivre le plus confortablement possible.
Je vous rassure, je garde néanmoins mon plus gracieux sourire de déterrée et une diplomatie à toute épreuve... enfin, presque !
Attention, j'ai parfaitement conscience que les médecins ne sont pas magiciens et que si la chimie est impuissante à calmer ma douleur, protester ne changera rien à cette réalité. En revanche, il est encore possible de jouer sur une multitude de petites choses pour rendre les choses plus supportables : de l'aide professionnelle pour me laver quand mon corps est une plaie géante que je ne peux mobiliser plusieurs jours de suite, du matériel et des vêtements adaptés à mes symptômes, de la kiné douce, que sais-je.... Pour le moment, moi, Chéri et Sandro bricolons au jour le jour, mais un coup de patte ne serait pas de refus ! Sauf que voilà, concernant tout ça, chaque professionnel se renvoie la balle (en l'occurrence moi) et je suis lancée dans mille démarches sans fin pour ne rien voir se mettre en place, ce qui m'épuise encore davantage.
J'aimerais aussi aborder un autre point concernant le poids que les gens peuvent placer plus ou moins involontairement sur mes épaules : j'ai fait un choix lourd en sollicitant une euthanasie. Je le sais, celui-ci n'engage pas que moi. Il implique des conséquences multiples, notamment pour Chéri et nos deux filles. Tout un après doit se préparer, même si c'est difficile. Mais j'ai un peu de mal avec ceux qui me demandent sans cesse si j'ai du neuf, si je sais enfin quand le geste final sera pratiqué, où, comment...
Dites donc, on ne parle pas d'une fête à organiser, mais de mon très probable décès dans un lit d'hôpital ! Alors oui, c'est moi qui ai lancé cette procédure. Oui, ici et maintenant je suis persuadée que c'est la meilleure chose à faire. Oui, cette certitude est ancrée, stable et continue depuis un bon moment. Mais il ne faut pas oublier une chose :
Je l'ai déjà signalé, c'est vertigineux d'envisager sa mort. Et apprivoiser ce concept n'a rien d'aisé. J'avance chaque jour sur ce chemin, pas à pas. Mais je garde le droit de renoncer jusqu'au seuil de la porte (et éventuellement après si un nécromancien se joint à la fête !). Et même si je ne compte pas en user, ce serait bon qu'on s'en souvienne. Trop régulièrement, j'ai l'impression qu'autour de moi deux clans se dessinent : ceux qui refusent mon choix et ceux qui le gravent dans le marbre et semblent m'interdire tout retour en arrière, voire me poussent en avant pour pouvoir mieux se projeter dans l'après.
Bref. Un parcours de fin de vie ne se mène pas comme un sprint. C'est une course de fond durant laquelle on peut toujours trébucher. Et dont il est important d'améliorer le confort. Parce qu'en attendant la mort, je radote mais il faut bien vivre !