Chroniques d'une fin de vie

Chroniques d'une fin de vie

Mère Castor, raconte-nous la fin de vie ! (partie 2)

Je sais, je réveille ce blog bien tard, sachant que j’avais plein d’articles promis sur le feu. Mais celui-ci, qui va une fois de plus s’appuyer sur mon parcours singulier pour proposer une réflexion personnelle plus générale sur l’euthanasie et tout ce qu’il y a autour, me paraît prioritaire à plusieurs égards. 

 

Déjà parce que je suis sûre que vous attendiez en retenant votre souffle la suite de mes aventures (oui, mes chevilles vont bien, pourquoi ?). Ensuite parce que j’aimerais continuer à questionner certaines représentations autour de la fin de vie et vous soumettre quelques interrogations qui me paraissent importantes et pour lesquelles je ne trouve aucune réponse satisfaisante.

 

Petite mise en garde nécessaire : si le titre du blog est suffisamment explicite sur le thème principal abordé, aujourd’hui on va aussi pas mal évoquer le suicide sans assistance médicale. Et honnêtement, j’en parlerai sans pudeur. Cet article sera donc très dur, même s’il sera comme toujours saupoudré d’humour acide.

Pour le reste des avertissements et précautions oratoires de rigueur, je vous renvoie à mon article précédent.

 

Vous êtes encore là ? Eh bien, un sincère merci à vous. Par contre, ne sortez pas le popcorn, il risque de vous rester sur l’estomac. J'insiste !

 

Rappel de l’épisode précédent : Notre héroïne (moi), à la suite d’un séjour prolongé en Belgique, avait reçu une quête de la part de GentilNeurologue : tenter de décrocher une prise en charge en France dans un service de rééducation fonctionnelle, au cas où cette porte ne serait pas encore entièrement verrouillée.

 

Je vous avais exprimé mon “léger” scepticisme concernant cette démarche et les raisons de celui-ci, ainsi que le résultat des premières recherches en ce sens. En bonne élève, j’ai néanmoins tenté d’explorer cette piste jusqu’au bout. Ne serait-ce que pour pouvoir rendre des comptes honnêtes et précis à GentilNeurologue. 

 

Je vous narrerai peut-être le détail de ces péripéties dans un autre article néanmoins, tant c’est un sketch en soi. Ici, je vais juste vous livrer le verdict final : je peux oublier l’idée, c’est plié. J’en ai eu la confirmation officielle début juillet. Et je vous garantis que j’avais beau le savoir, la baffe a quand même été rude. Cette tempête émotionnelle et physique imposée n’a été sans conséquences pour personne. Ni pour moi en première ligne, certes, ni pour aucun de mes proches. 

 

Tout ce bordel pour en revenir au point de départ, avec des forces et du temps en moins. Ce n’est pas que je le prenne mal, vous me connaissez ! Disons juste que ma diplomatie commence à tomber dans le négatif. Et le temps que GentilNeurologue fasse un retour sur mon compte-rendu découragé, je peux bien mourir hein ! Oh, wait…

 

Et pendant ce temps-là, en France, on attendait de moi que je revienne de Belgique avec un plan détaillé et une date de décès à annoncer. Et l’absence de ces éléments a donné lieu à un festival de réactions dont je me passerais bien. 

 

Attardons-nous un instant sur les “Comment voulez-vous qu’on s’organise sans ces informations ?!” et autres “Peut-être votre projet est-il plus ambivalent que ce que vous affirmez” de la part de personnes qui ne réalisent pas à quel point ce genre de remarques est malvenu. Dites, m’sieurs-dames, vous savez que je suis la première à être frustrée et angoissée par ce flou artistique ?

 

Quant à l’ambivalence de mon projet… Oui, je suis plus que jamais fermement décidée. Certes, les médecins du plat pays ont validé la pertinence de ma demande tout en poursuivant leur nécessaire travail de vérification des alternatives. Pourtant, on touche ici à l’une de ces fameuses questions sans réponses dont je vous parlais en introduction : Le cas échéant, m’accorderait-t-on réellement le droit plein et entier à renoncer à l’euthanasie ?

 

J’ai déjà exprimé que je refusais fermement qu’on tente de me dissuader de maintenir ma décision. J’ai posé les choses et défini que je souhaitais être euthanasiée. Ce choix, intime et longuement discuté, m’appartient. Mais il n’a de sens que s’il reste libre jusqu’à la dernière seconde.

 

Bien sûr, personne ne me met de couteau sous la gorge en exigeant que je me fasse une injection létale. Cela dit, il faut avouer que ce serait un poil contre-productif ! Pourtant, je vois bien que depuis que la demande d’euthanasie a été nommée, notamment auprès des soignants et autres professionnels qui ont affaire à notre famille, tout ce beau monde scrute mes intentions et ma progression avec une attention assez malaisante. 

 

J’entends bien que les gens doivent organiser un futur sans moi et que cela requiert une préparation adaptée. Mais quand on me reproche de ne pas pouvoir tout cadrer d’emblée et qu’on remet en doute la réalité de mes intentions, j’ai un peu envie de rappeler qu’on ne parle pas d’une balade en montgolfière mais de la planification et des modalités de mon décès.

 

J’ai assez écrit sur ce blog à quel point l’idée même de la mort était vertigineuse. Être confrontée à l’idée de ne plus exister, ça inspire, en tout cas chez moi, une terreur existentielle (Le premier qui fait allusion à un lien éventuel avec mon ego hypertrophié se prendra un coup de hache bien senti). Il se trouve juste que dans mon cas, la douleur surpasse ce ressenti, si glaçant et prégnant soit-il. 

 

Sauf que le moment venu, au moment de dire adieu aux miens, cette balance pourrait peut-être s’inverser, le doute pourrait frapper… et dans ce cas, si je dis non au dernier instant, je sais que le geste s’arrêtera. Mais ensuite ? Me reprocherait-on ce revirement de situation, me dirait-on que c’était bien la peine de faire tout ce cirque, que j’ai traumatisé mes proches et impliqué des professionnels pour rien ? Que finalement, hein, j’étais bel et bien incertaine malgré tous mes beaux discours ?

 

Ne nous leurrons pas : si je renonçais à mourir, il y aurait des conséquences. Plus ou moins importantes, parfois explicites, parfois larvées, mais jamais négligeables. Sur la valeur qu’on accorderait à ma parole et à mes besoins et envies à tous les niveaux, notamment. Comment être entendue par la suite à propos de ma douleur, de mes attentes concernant ma famille, de mon avenir ?

 

Passons un peu à une autre réaction, qui se situe selon moi un bon cran au-dessus encore sur l’échelle du malaise.

 

C’est fou le nombre de personnes, dont principalement des professionnels de la santé et du social, qui se semtent tenus de me faire l’aimable rappel que le suicide “maison” n’est après tout pas (plus) pénalement répréhensible et que après tout, si les médecins belges tardent trop à répondre, je peux m’arranger dans mon coin, histoire de faire avancer les choses.

 

Clarifions un point tout de suite : Je déteste les slogans du genre “le suicide n’est pas une solution”. Si, de fait. C’est une solution définitive, de tout dernier recours et qui a des conséquences non négligeables à prendre en compte sur ceux qui restent. 

 Je distingue également la pulsion suicidaire, qui relève du débordement soudain et non maîtrisé pouvant aboutir à un geste fatal, de la réflexion stable dans le temps malgré des alternatives concrètes proposées et mises en place de bonne foi, mais sans succès.

 

Ma demande d’euthanasie n’est donc selon moi rien d’autre qu’une demande de suicide dans des conditions moins violentes que celles que je pourrais obtenir par moi-même. Et évidemment, si cette procédure s’embourbe, je ne peux que penser au plan B, avec tout ce que ça comprend de dureté.

 

Ceci posé, l’incitation à en finir par mes propres moyens telle que je l’ai trop entendue ces derniers mois me choque pourtant. Serais-je là encore juste décidée à dire tout et son contraire pour faire mon intéressante ? 

 

Je viens de parler de la dureté, de la violence de l’acte. Se suicider soi-même, c’est accepter une infinie solitude lors du geste. D’une part, il est évidemment hors de question que qui que ce soit assiste à un décès dans des conditions forcément imparfaitement maîtrisées, avec tout ce que ça peut impliquer de sale et de glauque. Ensuite, il ne faut pas oublier que si le suicide n’est pas un délit en France, participer à cette démarche l’est bel et bien. Et devinez quoi ? Mon but n’est pas que mes proches aient affaire à la justice ! 

 

Donc oui, si on doit en venir là, je serai seule avec moi-même et ça, c’est terrifiant. Il y a loin du cadre hospitalier où ceux que j’aime me verraient “partir” (dieu que je hais cet euphémisme !) en douceur et en me tenant la main, à un suicide dans un lieu isolé sans aucun accompagnement ni sourire rassurant.

 

Second point auquel j’aimerais que ceux qui évoquent cette possibilité pour “arranger tout le monde” pensent un peu plus : se suicider sans se rater, ce n’est pas si simple. Si d’aventure je me réveillais dans un état encore pire que celui que je veux quitter, mais cette fois sans l’autonomie suffisante pour achever ce processus, ce serait un carnage pour tout le monde. 

 

En réalité, je crois que ce qui me gave le plus avec ces remarques assénées en passant, qui me poussent l’air de rien à sauter allègrement dans le gouffre, c’est l’hypocrisie de la démarche : les gens ne veulent pas voir en face toute la complexité de la situation qui m’a amenée fin 2023 à entamer une procédure de fin de vie. 

 

Tout le monde se défausse de la (parfois petite) part qu’il pourrait prendre pour que les choses se passent mieux, dans des conditions supportables. C’est toujours plus commode de refiler une décision de soins au confrère, tout aussi démuni, que de se dire “Tiens, sur cet aspect je peux peut-être amener un peu de confort”. Plus agréable de se dire “Moi, je suis là pour les enfants, pas pour la mère qui me met dans une position délicate”. Sauf que non, les deux sont indissociables. Etc. Résultat, tout le monde me renvoie d’interlocuteur en interlocuteur comme une balle de ping-pong format XXL, quand il serait possible d’agir, même juste un peu. Et vous allez rire : cette attitude, ça a au final plus d’impact sur ce que je vis, sur ce que mes enfants vivent, sur ce que tous ceux que j’aime vivent que de se mouiller un peu plus franchement. A ne rien faire, on détruit parfois plus sûrement qu’en agissant maladroitement.

 

Et, comme la situation stagne, en dernier recours on attend que je défasse seule le nœud du problème, histoire de garder les mains propres. Figurez-vous que je suis moyen fan du procédé. Encore une fois, il serait bon qu’on se rappelle que si je vais mourir, je ne suis pas encore morte. Et que malgré mon cynisme et mon humour corrosif, je peux encore avoir mal. Et que ce qu’il me reste comme temps ne devrait pas servir à panser les plaies qu’on m’inflige. Ne me le volez pas.



11/08/2025
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